Littérature exotique ou exotisme en littérature?
Dans le domaine des Lettres, "l'exotisme peut se définir comme l'intégration (...) de l'insolite géographique, ethnologique et culturel; il traduit le goût de l'écrivain pour des contrées qui lui apparaissent comme étranges et étonnantes, féeriques ou légendaires, qui contrastent avec la sienne propre par le climat, la faune, la flore, les habitants (leur apparence physique, leurs costumes et traditions)".
En ce sens, et très vite lors de son apparition, l'exotisme est proche du surnaturel et ce, dès la Renaissance avec Rabelais dans Pantagruel et Gargantua. Le goût pour l'Ailleurs naît avec la découverte des Amériques surtout mais aussi en raison de la redécouverte des cultures arabes et proche-orientales. L'exotisme en littérature doit aussi beaucoup à l'économie et au commerce de l'époque (Marco Polo et la route de la soie) ; dans Don Juan de Molière notamment le café qui vient d'apparaître en France est l'un des premiers objets littéraires exotiques, une sorte de cliché qui participera plus tard à la constitution d'un décor de convention, de même que l'eunuque, la princesse orientale en visite, les animaux fabuleux (dromadaires, lions...), autant de topoi qui naissent de l'exotisme littéraire.
L'exotisme apparaît principalement avec la traduction des Mille et une nuits, conte oriental transmis de génération en génération, par Antoine Galland, en 1701. Galland a su modifier subtilement la couleur locale orientale qui fait immédiatement le succès de l'édition en l'adaptant au goût français. Par ce décor de convention l'exotisme devient une façon littéraire d'étudier nos propres références culturelles et de s'inspirer des autres littératures. Dès lors nombres d'écrivains-philosophes comme Voltaire (Candide, Zadig) ou Rousseau (et sa fiction du Bon Sauvage), d'Alembert ou Diderot (Supplément au voyage de Bougainville, qui pose les principes de l'acculturation et les bases de l'ethnologie), Montesquieu enfin (Les Lettres Persanes) utilisent cet artifice pour distancier le regard du lecteur, pour lui permettre de créer un espace critique vis-à-vis de la société de l'époque.
Mais c'est surtout au XIXe siècle, avec Gérard de Nerval dans Voyage en Orient, Charles Nodier et François-René de Chateaubriand dans Voyage en Amérique que l'exotisme devient un mouvement littéraire. Il suit un développement parallèle en peinture avec Eugène Delacroix : La Victoire de Sardanapale et Les Femmes d'Alger en particulier. C'est surtout le fait que le peintre suit la campagne de Bonaparte en Égypte qui apporte une vague exotique à la littérature.
Les Femmes d'Alger d'Eugène Delacroix
Boucher et Lorjou peignirent tous deux une Chasse aux lions, Renoir et Matisse, des Odalisques. Le Douanier Rousseau, par Le Rêve, par La Bohémienne endormie, et Paul Gauguin, par Scène tahitienne et martiniquaise introduisent l'art primitif et le fauvisme en peinture. Nombre de ces œuvres influencent les écrivains comme Baudelaire (Curiosités esthétiques, l'Art Romantique). Très vite en effet le Romantisme s'empare de ce qui sera vu plus tard non plus comme un simple effet de style mais comme une véritable ouverture culturelle sur d'autres modes de vie et un élargissement des canons romantiques qui privilégient le vérisme et l'Histoire brute.
L'exotisme apparaît avec Pierre Loti et d'autres comme un motif autorisant le mélange des genres et en quelque sorte, du point de vue littéraire, un métissage. La science avec Jules Verne donne davantage de profondeur à l'exotisme (intégration de termes étrangers, d'espèces alors inconnues, popularisation géographique). Les naturalistes n'utiliseront pas l'exotisme qui, très vite, à la fin du XIXe siècle va se confronter avec le nationalisme en littérature (Charles Maurras, Maurice Barrès...) et diverger alors en deux sous-courants : celui accusant la Colonisation, et celui en faisant l'éloge.
Dès lors le thème du voyage modèle le genre exotique avec des écrivains comme Blaise Cendrars (La Prose du Transatlantique) ou Victor Segalen (Stèles qui évoque le monde chinois). Ce dernier écrit le premier essai sérieux sur l'exotisme: Essai sur l'exotisme, où il constate que la «tension exotique du monde décroît». Avec la colonisation, l'exotisme perd définiment toute prétention de convention : de nombreux auteurs étrangers francophones dévoilent un monde complexe tels : Léopold Sédar Senghor pour l'Afrique (Éthiopiques), Aimé Césaire pour les Antilles et bien d'autres.
Les auteurs occidentaux vont alors s'imprégner par la colonisation de cette ouverture sur le monde qui, selon les mots de Nathalie Sarraute, participe de l'ère du soupçon que renforçent les deux Guerres Mondiales et les déstabilisations de l'homme blanc dans ses agissements coloniaux et dont le coup est porté par Frantz Fanon notamment. L'exotisme devient avec la Décolonisation l'expression authentique des peuples souverains et l'affirmation d'une recherche de la vérité historique et une dénégation de la couleur locale. Des écrivains comme Jean Marie Gustave Le Clézio cherchent dès lors à utiliser le charme exotique pour rendre palpable et les cultures lointaines et les caractéristiques géographiques.
L'ethnologie enfin, et la littérature qui en découle (Lévi-Strauss) font définitivement passer l'exotisme dans le champ de l'authenticité littéraire.